FEMMES ET CINÉMA EN RÉGION

LES DISCRIMINATIONS DE GENRE

POURRAIENT INCITER À REPENSER

LE RAPPORT AU TRAVAIL

par Hélène Morsly

Le texte qui suit a été écrit dans le cadre du projet Madeleine H/F, porté par Réseau en scène Languedoc- Roussillon et soutenu par le Fonds Social Européen. Madeleine H/F est un projet de promotion d'une plus grande égalité entre les femmes et les hommes dans les métiers de la culture.

Inauguré avec l'accueil, en septembre 2015, du réseau international de femmes artistes Magdalena Project, le projet s'est achevé en décembre 2017 et a proposé sur cette période de multiples actions d'observation, de sensibilisation, de formation, de rencontres et conférences, et la mise en lumière de projets artistiques portés par des femmes.

Pour en savoir plus sur ce projet : https://www.reseauenscene.fr/article_madeleine-h-f.html
Le projet Madeleine H/F est co nancé par l'Union européenne (FSE), dans le cadre du programme opérationnel national Em- ploi et inclusion en Métropole 2014-2020 et par le Ministère des familles, de l'enfance et des droits des femmes.

« NON MAIS ÇA VA ! JE PLAISANTE ! »

Combien de fois cette phrase a été entendue après une vanne un peu - beaucoup - lourde et la réaction indignée d’une femme en présence ? Entre plaisanterie, grivoiserie, remarque déplacée... les limites sont oues. Alors il s’agit de faire le point. Comment est-on femme dans les métiers du cinéma et de l’audiovisuel en région ? De diverses manières. Cela dépend des postes de travail et du domaine d’intervention : assistante, stagiaire, comédienne ou chef de poste, en c- tion ou en documentaire.

Evidemment, l’actualité ne peut rester en marge et l’état des lieux commence par cette libération de la parole des femmes suite à l’a aire Weinstein. Ici, en ex-Languedoc- Roussillon, pas « d’a aires » évoquées, les femmes rencon- trées racontent un climat. Sur les plateaux cet automne, cer- taines ont eu un haut-le-cœur. Alors qu’elles s’attendaient à un début de remise en cause, elles ont entendu des « et voilà maintenant qu’elles se plaignent... ».

« VOUS VOUS DÉSHABILLEZ ET VOUS ENTREZ DANS LA BAIGNOIRE »

« Les sous-entendus d’ordre sexuel, c’est permanent » af- rme une jeune comédienne. Les remarques sur les formes, les seins, les regards portés sur..., les réflexions par

derrière, les blagues en direct... C’est usant. » Et elle n’a qu’une trentaine d’années.
Cela ne s’arrange pas en vieillissant, affirme cette au- tre, la soixantaine : « En atteignant l’âge d’une grand- mère, qui plus est en région, c’est la triple peine ! Il est plus difficile d’avoir des rôles, c’est évident, on s’attend à voir arriver une mamie avec canne, lunettes et cheveux blancs. Si vous venez comme vous êtes, on vous répond que vous vous êtes trompée de cast- ing ! Les rôles de femmes sont très stéréotypés. » A la question « pourquoi cet état de fait ? » la réponse fuse : « La scénarisation et la réalisation sont des métiers peu féminisés. »

Dans ces milieux masculins, la cooptation, la repro- duction, la force de l’habitude ont tendance à faire loi, une loi bien silencieuse. En 2012, on comptait 22% de femmes réalisatrices et autant de metteuses en scène et chorégraphes (films agréés CNC et théâtres sub- ventionnés). Une comédienne qui connaît les deux univers, théâtre et cinéma, affirme qu’au cinéma « les enjeux de pouvoir sont plus forts, parce qu’il y a plus d’argent en jeu. » Car il s’agit bien d’abus de pouvoir quand un réalisateur lui demande d’entrer nue dans une baignoire au moment de tourner une scène sous le regard de toute une équipe (essentiellement mas- culine) et qu’elle n’a pas été prévenue à l’avance.

 

« TU AS DE BEAUX YEUX, TU SAIS... »

Le pouvoir, l’argent. Le binôme revient régulièrement dans les propos des femmes rencontrées. « J’ai la chance de faire un métier dans un domaine où ces discriminations de genre n’existent pas » a rme cette monteuse de lms do- cumentaires. « Je n’y pense jamais et je me rends compte que c’est un luxe. Par contre, je pense que les tournages de ction y sont propices parce que ce sont des micro-socié- tés très hiérarchisées, avec un rapport de classes très fort, notamment vis-à-vis des assistantes ou des stagiaires. »

« Oui, on est dans un univers très, très masculin, surtout en ce qui concerne les chefs de poste » explique une régis- seuse. Il faut donc y négocier les conditions de travail et de salaires beaucoup plus qu’un homme pour un même mé- tier. « Cela devrait nous obliger à répondre par une solida- rité de même nature sur un tournage, soutenir l’assistante qui devient sou re-douleur, lui expliquer qu’elle ne doit pas perdre son estime d’elle-même. » Si en tant que chef de poste, l’oppression est ressentie comme moins vive, la légi- timité doit être prouvée en permanence. « Aux remarques sur la couleur de mes yeux, je réponds dolly, découpage des scènes, plans de travail. » « C’est vrai qu’on nous tend quelques pièges, rétorque une chef décoratrice. La com- pétence reste toujours à démontrer. » Une autre, chef de poste également, explique que pour être prise au sérieux et faire oublier son jeune âge et s’épargner les remarques sur un physique dé ni comme avantageux, elle attache les cheveux, met des vêtements amples et porte des lunettes.

« LAISSE, LAISSE LA PERCEUSE. JE VAIS LE FAIRE. »

Cette question de la légitimité revient constamment. Surtout quand il s’agit de manier une perceuse ou de se saisir d’une caméra. Une réalisatrice de documentaires explique qu’elle a mis dix ans avant de se dire « réalisatrice ». « Auparavant je disais « fabricante de lms. »

Une productrice pointe également la question du rapport de forces, de la virilisation du métier pour sembler être à la hauteur de la tâche. « Ces questions de pouvoir et d’autorité émergent parce qu’on est dans une économie très tendue, une angoisse du temps qui le, un rapport très fort à la per- formance, à la réussite, à l’injonction de succès. » Peu de place, alors, aux doutes ou aux remises en cause. Et surtout pas en public. Elle reconnaît qu’il est plus aisé d’en parler avec des femmes : « On est plus vite dans des rapports de sincérité et les doutes ne sont pas pris comme des faiblesses. »

« AH ! TU AS DES ENFANTS ? DOMMAGE... »

La solidarité des femmes entre elles, c’est aussi la garde des enfants. « Heureusement que j’avais des amies autour de moi quand j’ai eu ma lle. Dans nos métiers, les 35 heures, on peut les faire dans la même journée ! » explique une régisseuse. « Comment travailler dans cet univers en ayant des enfants une semaine sur deux ? s’interroge une autre. Quand les heures s’allongent en n de journée, qu’on re- garde discrètement la montre parce qu’on va rater le dé- part de la baby-sitter ? » Les arrangements sont nombreux, avec la sensation d’avoir des enfants en douce. Des enfants comme un handicap, en quelque sorte.

Il a fallu plus de dix ans de luttes pour que les matermit- tentes (prise en compte de la grossesse pour le calcul de l’intermittence du spectacle) puissent commencer à se faire entendre.

« NI VICTIMES, NI GUERRIÈRES... COMPLÉ- MENTAIRES »

C’est cette question de la parentalité, notamment, qui a fait « vriller » cette directrice de production : « cette impression qu’il faut être corvéable à merci m’a conduit à me dire que c’était le rapport au travail qu’il fallait changer... » Modi er les structures de travail, pour changer les rapports en son

sein, de genre, mais pas seulement.
Elle a donc créé une société de production avec d’autres, en coopérative, « pour sortir de la violence de la fragilisation des individus due à l’intermittence, sur un marché concur- rentiel, et faire de l’intermittence un choix, une liberté. En mettant les ego de côté, on se met au service d’un projet, on sort de ce far west caricatural, et du rôle de l’éternelle numéro deux ou numéro un-bis aux côtés d’un numéro un charismatique. On a fait de l’égalité le pivot du travail, et ce tous domaines confondus : âges, genres, nationalités, niveaux d’expériences et de diplômes. » C’est en déplaçant ce rapport au travail, à la hiérarchie et au pouvoir, que les rôles de genre se sont estompés : « en travaillant à la com- plémentarité, en évacuant la question des tâches ingrates ou valorisantes, on a évacué de fait les postures de vic- times ou de guerrières. »
Un pas de côté qui a le mérite de faire de la question des discriminations un levier pour ouvrir la ré exion sur le tra- vail dans son ensemble.

Autour du bien commun...: documentaire à partager

Vivre Fatigue , Jean Claude IZZO

 …À force d’avoir mis en terre

nos folles espérances

d’avoir trop soumis nos rêves

à la légalité des discours

à force de compromis

à force de silence

on ne sait plus

avec quelle main se bâillonner

avec quelle voix se taire

avec quel cœur mourir

Etouffé

…Je crie/ crève poésie

Je crie/ Je n’ai plus que la folie à la bouche et je la déverse sur vous pour remuer dans vos cerveaux tout ce qui y dort depuis des siècles

Je vous offre le désespoir

Il est temps grand temps que vous désespériez de moi de vous de nous des hommes du monde.

Pleurez Pleurez donc

Je crie / Il est temps il est l’heure

De bâtir l’avenir sur la terre des rêves désespérés

 

éloge de la désespérance de Jean Claude IZZO